Le mariage battait son plein. La salle décorée de guirlandes lumineuses brillait de mille feux, les tables étaient garnies de mets raffinés, et les verres tintaient au rythme des toasts joyeux. Tout le monde riait, dansait, chantait même parfois à tue-tête. On aurait dit que chaque seconde de la soirée était imprégnée de bonheur, comme si tout l’univers s’était ligué pour que cette journée soit parfaite.
Je tenais la main de ma femme, ma toute nouvelle épouse, vêtue de sa magnifique robe blanche aux multiples couches de tulle et de dentelle. Elle souriait timidement, encore un peu submergée par l’émotion, et je la regardais avec cette fierté qu’on ne peut pas décrire. C’était le moment que nous avions tant attendu, et tout semblait se dérouler exactement comme dans nos rêves.
Puis, soudain, au milieu de cette euphorie, elle se pencha discrètement vers moi. Sa voix, presque tremblante, se fit entendre dans le brouhaha ambiant :
— Sous ma robe, il y a quelque chose qui bouge.
Au début, je crus qu’elle plaisantait. Elle aimait me surprendre avec de petites blagues, même dans les moments les plus sérieux. J’éclatai de rire et répondis à haute voix, pour que les voisins de table en profitent :
— Quoi donc, chérie ? Tes jambes ?
Les convives éclatèrent de rire avec moi, mais son regard ne changea pas. Ses yeux grands ouverts exprimaient une inquiétude réelle. Ses doigts, posés sur ma main, se crispèrent légèrement. Mon sourire disparut aussitôt.
— Je ne plaisante pas, murmura-t-elle. Il y a vraiment quelque chose. Et j’ai très peur.
Cette fois, je sentis un frisson me parcourir l’échine. Son ton ne laissait aucun doute : elle parlait sérieusement. J’essayai de l’apaiser, en cherchant une explication logique :
— Tu es peut-être fatiguée, c’est une longue journée… Peut-être que tu imagines seulement.
Mais elle me coupa net, sa voix plus ferme malgré la panique :
— Non. Je le sens très bien. Il y a quelque chose. Et ça bouge.
Je restai un instant immobile, le cœur battant. Devais-je vraiment regarder ? Et si c’était vrai ? Finalement, voyant ses yeux emplis de larmes, je sus que je n’avais pas le choix. Je me penchai, pris une grande inspiration et commençai à soulever prudemment les lourdes couches de tissu.
Et c’est là que je le vis. Perdu entre le tulle et la dentelle, un petit serpent, mince et brunâtre, se tortillait tranquillement. Sa langue fourchue sortait de temps en temps, comme s’il goûtait l’air festif de la salle. J’eus un mouvement de recul instinctif, mon cœur battant à tout rompre. La mariée, en voyant l’animal, poussa un cri aigu qui fit tourner la tête de plusieurs invités. Elle recula brusquement, manquant de trébucher, mais je la rattrapai de justesse.
En un instant, l’ambiance changea. Les rires s’éteignirent, la musique s’interrompit, et tout le monde regarda dans notre direction. Ceux qui étaient proches se précipitèrent pour voir ce qui se passait. Quand enfin le serpent, comme s’il avait compris qu’il était découvert, se mit à glisser rapidement hors de la robe, un murmure de panique parcourut la salle. Les invités s’écartèrent, laissant un passage à la petite créature qui ondula souplement jusqu’à la porte.
La scène paraissait irréelle : une salle décorée pour un mariage, des invités endimanchés figés par la peur, et au milieu, un serpent qui se dirigeait tranquillement vers la sortie. Certains poussèrent des cris, d’autres montèrent sur leurs chaises pour se mettre à l’abri. Les enfants, intrigués mais terrifiés, se réfugièrent derrière leurs parents.
Heureusement, parmi les invités se trouvait un cousin de la mariée qui travaillait dans un parc naturel. Il s’approcha calmement, les mains ouvertes, et rassura tout le monde :
— Pas de panique, ce n’est pas un serpent dangereux. Probablement une espèce inoffensive, arrivée ici par hasard.
Il expliqua que l’animal avait sûrement été transporté involontairement, peut-être dans les bouquets de fleurs qui décoraient la salle, ou même lors de l’essayage de la robe. Son discours, posé et professionnel, apaisa un peu l’atmosphère, mais pas la mariée.
Elle tremblait encore, ses mains glacées serrant les miennes. Son visage, pâle comme la toile de sa robe, exprimait une terreur pure. Pendant une bonne heure, elle refusa de retourner au centre de la fête. Chaque fois que quelqu’un essayait de la convaincre que tout allait bien, elle secouait la tête, incapable de se détendre.
Finalement, elle prit une décision radicale : elle quitta sa robe de mariée. Aidée par sa demoiselle d’honneur, elle enfila un pantalon blanc confortable et un chemisier léger. Lorsqu’elle revint dans la salle, les invités applaudirent, certains pour l’encourager, d’autres pour alléger la tension. Elle esquissa un sourire forcé, mais je voyais bien que l’épisode l’avait profondément marquée.
La soirée reprit son cours, la musique retentit à nouveau, et peu à peu les convives retrouvèrent leur joie. Mais pour nous, quelque chose s’était brisé. Nous avions rêvé d’un mariage parfait, et voilà qu’une créature inattendue avait transformé ce souvenir en une histoire presque surréaliste.
Avec le temps, nous avons appris à en rire, mais pas elle. Depuis ce jour, ma femme a développé une drôle d’habitude : vérifier chaque recoin avant de s’habiller, inspecter soigneusement les longues jupes et même jeter un coup d’œil derrière les rideaux. Elle plaisante parfois en disant : « On ne sait jamais, peut-être qu’il y a un invité non désiré. » Mais je sais qu’au fond, elle n’a jamais complètement oublié cette frayeur.
Chaque mariage a son anecdote, ce petit détail qui reste gravé dans les mémoires et que l’on raconte encore des années plus tard. Pour certains, c’est une chanson improvisée, une chute amusante, un discours raté. Pour nous, c’est ce serpent imprévu, glissé sous une robe de mariée, qui a transformé un jour de rêve en une histoire incroyable, effrayante sur le moment, mais désormais unique et inoubliable.